Pierrette Bloch: Différence et répétition
Galerie Karsten Greve Paris
mardi à samedi, 10h - 19h
Vernissage
le mardi 07 mai 2024 de 18h à 20h.
Depuis 2011, la Galerie Karsten Greve soutient avec engagement le travail de Pierrette Bloch. Dans cette nouvelle exposition intitulée Différence et répétition, nous dévoilons une sélection inédite de plus de 70 oeuvres qui illustre la variété de sa démarche artistique pionnière, fondée sur la réitération d’un geste jamais égal à lui-même. Un catalogue bilingue (français/anglais) accompagne cette exposition. Il regroupe des textes inédits de Julie Enckell Julliard (historienne de l’art, curatrice et critique d’art suisse, ancienne directrice du musée Jenisch Vevey) et de Lucia Pesapane (commissaire d’exposition et responsable de la programmation artistique de la Monnaie de Paris).
Profondément ancré dans la pratique du dessin qu’elle a mis à la une des recherches plastiques contemporaines, l’oeuvre de Pierrette Bloch montre une innovation dans son approche en donnant à l’abstraction une nouvelle sensibilité et poésie. Née en 1928, elle partage avec les artistes de sa génération, comme Cy Twombly et Pierre Soulages, la volonté d’arriver à l’essence de l’art en utilisant les éléments morphologiques constitutifs de la création picturale. Le point, la ligne et les rapports établis avec la surface selon le matériau utilisé ont constitué pendant plus de soixante ans l’axe fondateur du travail de Pierrette Bloch qui exprime toute sa force dans le choix d’une oeuvre en apparence silencieuse. Son travail est en effet caractérisé par une économie de moyens – l’encre, la craie grasse, le pastel, le crin de cheval – ainsi que de couleurs – le noir et le blanc – avec laquelle elle a su créer une oeuvre extrêmement libre. Elle offre alors un voyage pour le regard, qui se meut à la surface au rythme d’une danse créée par les rapports qu’entretient la trace du geste créateur avec le support.
C’est vers la fin des années 60 que Pierrette Bloch abandonne la peinture pour explorer le collage et le dessin. Compositions d’abord architecturées, faites de papiers encrés et déchirés superposés sur isorel, ses collages évoluent dès les années 1970-1972 pour intégrer des morceaux de dessins initialement mis au rebut. Elle les découpe aux ciseaux et réassemble les fragments ainsi obtenus dans un patchwork déconstruit au rythme nouveau.
Dans les oeuvres à l’encre de Chine sur papier – que Pierrette Bloch commence à réaliser systématiquement depuis 1971 – elle octroie à la surface du support et aux traces laissées par l’encre la même valeur plastique : c’est la relation du noir et du blanc, comme du plein et du vide, qui en construit l’unité. Le noir étant la couleur dominante des compositions, il marque le support et vibre avec sa gamme de nuances illimitées, disponible aux résultats du hasard – une goutte d’eau de plus ou de moins, une hésitation du geste, une pression plus forte de la main. Chaque dessin est alors une promenade où l’imprévu est la norme.
Le rapport privilégié que Pierrette Bloch entretenait avec le moment présent transforme ses dessins en aventures de l’esprit où la sérialité du geste souligne la diversité et non pas l’égalité. Il s’agit d’une temporalité liée à l’instant, à la spontanéité, à la joie de jouer un jeu dont les règles – s’il en a – se constituent au fur et à mesure de la création de l’image. C’est ce manque de lois, ce débordement volontaire, qui éloigne l’oeuvre de Pierrette Bloch de l’écriture, à laquelle elle a été pourtant souvent associée. Chez elle, c’est le langage originaire de la création plastique qui organise le déploiement des signes, et non pas la recherche d’une signification.
La forme, l’espace et la couleur sont donc les éléments morphologiques qui constituent son discours et que l’on retrouve dans les oeuvres de crin que Pierrette Bloch réalise dès 1979. Les mailles sont indissociables de ses encres sur papier, en ce qu’elles sont liées par le même geste répétitif, par la même place laissée au hasard et à la nuance, mais aussi par la même planéité. À partir de 1982-1984, le crin se délie, se fait horizontalité et se détache de la surface du mur. « J’ai choisi le fil de crin pour son côté linéaire, son acuité, son ombre », dira Pierrette Bloch. Cette ombre portée qui dédouble l’oeuvre par sa projection compte presque plus que le crin lui-même et a pendant longtemps guidé le geste même de l’artiste qui « écrit l’espace » », selon les termes de Luc Lang dans son essai « Le corps exténué ». À l’image de ses oeuvres sur papier, les sculptures de crin frappent par leur diversité, de couleur, de densité, de rythme. Les noeuds tantôt denses, tantôt lâches, se déploient le long du nylon, dans des compositions qui peuvent atteindre jusqu’à 12 mètres. Le crin parfois se déroule et se confond le long du fil transparent. Parfois au contraire, les noeuds s’agrègent au même endroit, et créent comme dizaines de points de suspension sur le support, comme des rondes sur une portée. Parfois enfin, le geste se fait plus audacieux, plus libre, le crin se libère de sa maille et trouve de l’amplitude sur ce fil, pour projeter son ombre en boucles et arabesques sur le mur support.
Par la variété des oeuvres présentées, encres sur papier aux formats divers, collages, mailles et fils de crins, réalisés entre 1971 et 2017, cette nouvelle exposition tend à montrer l’étendue et la diversité de l’oeuvre de Pierrette Bloch, et rend hommage à cette grande âme de l’art abstrait. S’il est vrai qu’elle a vécu sa vie avec modestie, en se gardant à l’écart des circuits mondains, ses rapports avec les plus importants artistes de sa génération furent sincères et durables. Son travail entre non seulement en résonance avec les recherches de l’art abstrait des années 50 et 60, mais est aussi pionnier dans le choix des supports et des matériaux utilisés, loin des limites imposées par la peinture traditionnelle. C’est grâce à son esprit curieux et à sa manière de jouer avec les matières que Pierrette Bloch a été considérée comme précurseure du groupe Supports/Surfaces, actif en France entre la fin des années 60 et le début des années 70.