Gideon Rubin: Moon Above Water
Galerie Karsten Greve, Paris
Mardi au Samedi, de 10h à 19h
Vernissage
le samedi, 6 juillet 2024, de 18h à 20h
en présence de l'artiste.
Une petite lune couleur crème, à demi voilée par un ruban de nuage, flotte à faible hauteur au-dessus d’une étendue d’eau. Rothko-esque dans sa composition, la toile est divisée en trois bandes de bleu. Abstraite en soi, c’est seulement la présence de la lune – un point net au milieu de touches larges – qui tire l’image vers son interprétation finale, figurative.
De manière similaire, c’est un autre petit détail – la courbe reconnaissable entre toutes de l’acier tubulaire – qui ancre le tableau Pool (2024) dans l’univers figuratif, fournissant un contexte et un sens aux blocs de couleur qui l’entourent.
Brouiller la frontière entre l’abstraction et la figuration est devenu un thème central dans l’oeuvre de Gideon Rubin, qui examine, à travers chaque peinture et chaque série, de quelle façon convergent ces styles en apparence opposés.
Jeune peintre, Rubin produisait des portraits – lents, laborieux et solidement figuratifs –, mais avec le temps il est devenu à la fois plus habile et plus libre ; capable de transmettre l’état d’esprit d’une personne sans détailler les traits de son visage, capturant le sens du mouvement plutôt que la précision des plis d’un vêtement.
Dès lors, ses peintures reflètent quelque chose du fonctionnement de la mémoire humaine – tout en angles adoucis et détails perdus, le ressenti plutôt que le fait. Nous nous souvenons des choses de la façon dont nous souhaitons qu’elles soient remémorées – qu’il s’agisse d’une personne, d’une expérience, d’un film ou d’un endroit – et c’est ce tour de passe-passe de l’esprit que Rubin explore dans son oeuvre. Au travers d’un processus de simplification et de montage, le peintre fractionne chaque image en ses composants – des blocs de couleurs et de tons qui peuvent être réassemblés en une image claire et familière, ou quelque chose d’un peu plus ambigu.
Rubin travaille sur plusieurs tableaux à la fois – des dizaines, même –, si bien qu’une conversation s’engage entre ces oeuvres en cours tandis qu’elles sont accrochées au mur de son studio. Des affinités se font jour parmi les thèmes – les paysages et les natures mortes, les portraits et les scènes – et des récits émergent, se désagrègent et évoluent au fil de leurs innombrables combinaisons.
Inspiré par des livres, des magazines, des films et Internet, Rubin puise ses images dans cette mémoire collective – cette banque visuelle à laquelle nous contribuons tous et où nous piochons –, qui contient et reflète l’intégralité de l’histoire et de la culture humaines.
Plus récemment, Rubin a peint à partir de photographies qu’il a prises lui-même, des images fugitives et des instantanés capturés avec son téléphone. L’exposition montre aussi un certain nombre de toiles réalisées d’après nature – le modèle dans le studio –, ce qui marque un retour à la peinture de la figure humaine plutôt qu’à sa représentation.
En dépit de la diversité de leurs origines, les sujets sont liés par le choix dont ils sont le fruit : ils contiennent tous des éléments qui les rattachent à l’artiste, exprimant quelque chose de sa vision du monde. Les images sont également rassemblées de manière thématique, chacune témoignant d’un sens prononcé du quotidien. Le sujet de Rubin, ce sont les trucs de la vie : les vues et aperçus saisis depuis une fenêtre ou sur un écran ; les gens absorbés dans une conversation ou dans leurs pensées ; une journée à la plage ; les premières cerises de la saison.
Peignant des scènes qui, tout en étant éphémères, peuvent se répéter, Rubin donne à voir des moments révolus mais intrinsèquement cycliques.
La femme retournera à son livre.
Les anémones refleuriront l’année prochaine du même rouge profond.
Et la lune réapparaîtra demain, au-dessus de l’eau.
Rosanna Robertson, mai 2024