Femmes · Frauen · Women
Galerie Karsten Greve Paris
Mardi à samedi, de 10h à 19h
Vernissage le samedi 25 février 2023, de 18h à 20h.
La Galerie Karsten Greve célèbre dans sa nouvelle exposition collective sept artistes emblématiques de la galerie. Femmes · Frauen · Women met en avant un ensemble d’oeuvres de Pierrette Bloch, Leiko Ikemura, Lucia Laguna, Catherine Lee, Luise Unger, Georgia Russell et Claire Morgan. L’exposition fait la part belle aux techniques, que chacune apprivoise à sa manière. Le rythme, la couleur et la temporalité sont au coeur de leurs recherches, et deviennent des points d’entrecroisements entre ces trois générations d’artistes, dont les oeuvres choisies explorent les contradictions de notre monde : le naturel et l’artificiel ; l’intérieur et l’extérieur ; l’unique et le répétitif ; le familier et l’étrange.
La démarche pionnière de Pierrette Bloch (née en 1928, Paris - 2017, Paris) est fondée sur la réitération du geste-même. Le point, la ligne et les rapports établis avec la surface selon le matériau utilisé ont constitué, pendant plus de soixante ans, l’axe fondateur de son travail. L’encre noire est dominante dans ses compositions : elle marque le support (souvent le papier) et vibre avec sa gamme infinie de nuances, elle est disponible aux résultats du hasard - une goutte d’eau de plus ou de moins, une hésitation du geste, une pression plus forte de la main, bouleversent le rendu à l’infini. La sélection d’oeuvres propose un aperçu de plus de quarante ans de son travail, allant de 1971 à 2017. « Je crois que toute ma vie, j’ai cherché à dessiner le temps... », Pierrette Bloch a décrit ainsi un rapport privilégié avec le moment présent qui transforme ses oeuvres en aventures de l’esprit, où la sérialité du geste souligne la diversité et non pas l’égalité : il s’agit d’une temporalité liée à l’instant présent et à la spontanéité.
Les abstractions réductibles de Catherine Lee (née en 1950, à Pampa, Texas) s’assemblent sous forme de grilles dans un ensemble de motifs rythmiques et abstraits. L'artiste américaine aborde sa fascination pour l'abstraction dans la peinture (entre autres médiums) : « Mon travail est toujours sériel, toujours répétitif ; c'est comme une marque du temps, comme un souvenir d'être dans le monde ». Les cellules individuelles de ses tableaux de la série Quanta, commencée dans les années 1970, sont remplies de couleurs à l'aide de multiples méthodes. L'application successive de couches de couleur évoque le rythme automatique et régulier de la respiration : le coup de pinceau devient un geste existentiel. Comme le temps est divisé en unités qui s'additionnent en heures, jours et mois, chaque carré est aussi semblable que différent. Les sculptures, réalisées au milieu des années 1990, s’attachent à des lieux par leurs titres – Yosemite, Xocche, Zuider Zee ou Dozule – et évoquent les pierres taillées préhistoriques.
Cet attachement au lieu se lit également dans le travail de Lucia Laguna (née en 1941, à Rio de Janeiro), qui allie à la surface de ses tableaux des éléments aussi naturels qu’étranges. Ses oeuvres révèlent leur inébranlable magie à travers l’interprétation du spectateur, des détails énigmatiques se révélant dans les strates superposées. Laguna réussit à saisir dans ses oeuvres, toute la richesse des multiples facettes de son environnement – son jardin (dans les peintures intitulées Jardim), mais aussi la ville de Rio de Janeiro qu’elle observe depuis son atelier. Des juxtapositions magistrales de formes à la fois organiques et géométriques, créent l'impression de mouvements et de changements constants, où s’entrechoquent les vues des intérieurs et des extérieurs. Ses compositions apparaissent comme des palimpsestes d'impressions visuelles, parfois condensées, parfois désassemblées en fragments d'objets et de paysages les plus divers, des éléments figuratifs et abstraits se mélangent et se fondent. Ses peintures semblent aussi expressives et pleines d'énergie que légères et fluides, inondées d'une vive lumière atmosphérique.
« Je coupe, je lacère le papier et je joue avec les dégradés de tons, rythmés par le mouvement de mes incisions dans lesquelles s’infiltre la lumière, » explique Georgia Russell (née en 1974, à Elgin) à propos de son travail. Son geste chirurgicalement précis demande de la maîtrise et de la patience : « Je change toutes les cinq minutes de lame car, au-delà, celle-ci n’est plus assez performante » : à travers l’incision des surfaces, l’artiste crée un mirage à l’intersection du réel et de l’illusoire. Inspirée par la nature et par ses incessantes métamorphoses, Russell se confronte à la réalité et inclut dans son travail ses réflexions les plus intimes sur les changements de cette nature bouleversée par l’action humaine. Tradition Orale, une sculpture de toile lacérée de 2016, apparaît comme une forme totémique. Les totems étaient pour l’artiste un moyen d’appréhender la langue française après son arrivée en France depuis l’Écosse.
L’artiste allemande Luise Unger (née en 1956, à Bad Saulgau) s’immerge dans un processus créatif qui donne naissance à des formes aussi architectoniques qu’anthropomorphes, mais aussi à des silhouettes intangibles qui créent l’illusion d’ombres noires. En lévitation ou reposant sur un socle, ses créations plastiques dévoilent à l’observateur un espace où plusieurs épaisseurs transparentes délimitées par du fil métallique esquissent la transition entre intérieur et extérieur. La transparence créée par ce réseau métallique rompt les coutures de l’enveloppe extérieure : ainsi l’invisible devient visible, et les perceptions deviennent illusions. C’est sur ce mode que Luise Unger joue sur les transitions entre différents états, tissant les unes dans les autres des formes qui semblent être dans un constant état d’apesanteur.
Le travail de Claire Morgan (née en 1980, à Belfast) explore l’ambivalence de l’être humain dans son rapport avec la nature qui l’entoure. Nerve Ending, une nouvelle oeuvre de 2023, reprend son travail précédent présenté à Paris en 2022, et continue sa réflexion autour de la violence et de la vulnérabilité. La forme en grès rappelle indéniablement une dent, mais les jeux d’échelle et de surface permettent à Morgan de la présenter comme une entité corporelle, organique. Ses oeuvres sur papier, aussi délicates que brutales, s’articulent autour du rapport animal et humain dans le monde actuel où il existe une tension entre l’organique et l’artificiel. À travers son travail, Claire Morgan souhaiterait que chacun envisage les possibilités qui peuvent se présenter « à propos de choses qui auraient pu avoir lieu, ou des choses qui pourraient encore avoir lieu. »
Leiko Ikemura (née à Tsu, Mie) a quitté le Japon, son pays natal à l'âge de vingt et un ans, pour l'Europe où elle a étudié l'art et la littérature. Ikemura a vécu en Espagne, en Suisse et enfin en Allemagne, où elle réside aujourd’hui. Son oeuvre impressionnante et éclectique pourrait être décrite comme la rencontre de l’Occident et de l’Orient. Les différents thèmes et techniques, de la peinture à la céramique, sont fortement liés à la terre et à la nature, mais sont également imprégnés d'une force mystique qui évoque des mondes imaginaires – notamment ceux des mythes et légendes du Pays du Soleil levant. Lying Pink et Pink Clouds, deux oeuvres de 2019, renvoient par leur composition au yamato-e, tout en gardant des éléments de la peinture de paysage occidentale. L'art d'Ikemura aborde des sujets aussi vastes que le cycle de la vie, le multiculturalisme et la sexualité. Elle considère l'art comme un moyen de défier "notre monde de dualismes" afin d'en transcender les limites. « L'imagination est la force la plus puissante dans mon travail », déclare-t-elle. C'est précisément grâce à l'imagination unique de Leiko Ikemura que le spectateur est invité à voyager à travers ses représentations poétiques, à la fois familières et déconcertantes.